Poesie Française

Élégie faite dans un cimetière de campagne - May 1750 - Antoine de Cournand

Une imitation de Elegy Written in a Country Churchyard

La cloche du soir sonne et plaint la mort du jour.
Les troupeaux, à pas lents, regagnent leur séjour
Le laboureur pensif rentre dans sa chaumière
Le deuil s’étend sur moi comme sur la lumière,
Ces plaines, ces lointains s’effacent à mes yeux
La lune roule en paix son char silencieux
À peine dans les airs quelque insecte bourdonne:
Tout se tait l’Univers au sommeil s’abandonne.
Seulement le hibou, triste enfant de la nuit,
Sous le lierre rampant, retiré loin du bruit,
Se plaint de l’importun que le hasard amène
Au pied de cette tour, son antique domaine
Là, parmi les monceaux de ces gazons nombreux
Où l’if funèbre épand ses rameaux ténébreux,
Reposent renfermés dans leurs tombes modestes,
Des pères du hameau les vénérables restes.
Ni le coq glapissant, le cor ni ses échos
Ne viennent les troubler dans ce dernier repos
Le vent frais du matin, le cri de l’hirondelle,
Rien de leur toit rustique aux champs ne les rappelle.
Le soir ne les rend plus à l’objet de leurs vœux
La flamme du foyer ne brille plus pour eux
Ils ne reverront plus leur famille si chère
Lutter innocemment pour les baisers d’un père.
Ils ont su maîtriser par l’effort de leurs bras
Une glèbe profonde et des sillons ingrats
Souvent à leurs sueurs la moisson s’est donnée.
Toujours d’utiles soins remplissaient leur journée,
Tantôt d’un air joyeux guidant leurs chars pesans,
Tantôt frappant un chêne endurci par les ans.

Apologie des Femmes - Aug 1694 - Charles Perrault

Ce petit poëme parut à l’occasion de la satire de Boileau, sur les Femmes, à laquelle on sait que Regnard a répondu aussi par la satire des Maris. Perrault a publié, en tête de son Apologie des Femmes, sous le titre de Préface, une critique plus précise et assez détaillée de la satire de Boileau : cette critique aurait peu de sel ici, mais le commentateurs de Boileau pourraient y puiser des remarques utiles.

Le siecle de Louis le Grand - Jan 1687 - Charles Perrault

La belle antiquité fut toujours vénérable
Mais je ne crus jamais qu’elle fût adorable.
Je vois les anciens, sans plier les genoux
Ils sont grands, il est vrai, mais hommes comme nous
Et l’on peut comparer, sans craindre d’Être injuste,
Le siècle de Louis au beau siècle d’Auguste.
En quel temps sut-on mieux le dur métier de Mars?
Quand d’un plus vif assaut força-t-on des remparts?
Et quand vit-on monter au sommet de la gloire,
D’un plus rapide cours le char de la victoire?
Si nous voulions ôter le voile spécieux,
Que la prévention nous met devant les yeux,
Et, lassés d’applaudir à mille erreurs grossières,
Nous servir quelquefois de nos propres lumières,
Nous verrions clairement que, sans témérité,
On peut n’adorer pas toute l’antiquité
Et qu’enfin, dans nos jours, sans trop de confiance,
On lui peut disputer le prix de la science.

L'Art Poétique - Jul 1674 - Nicolas Boileau

Chant I

C’est en vain qu’au Parnasse un téméraire auteur Pense de l’art des vers atteindre la hauteur: S’il ne sent point du ciel l’influence secrète, Si son astre en naissant ne l’a formé poëte, Dans son génie étroit il est toujours captif; Pour lui Phébus est sourd, et Pégase est rétif. Ô vous donc qui, brûlant d’une ardeur périlleuse, Courez du bel esprit la carrière épineuse, N’allez pas sur des vers sans fruit vous consumer, Ni prendre pour génie un amour de rimer: Craignez d’un vain plaisir les trompeuses amorces, Et consultez longtemps votre esprit et vos forces. La nature, fertile en esprits excellens,

La Peinture - Apr 1668 - Charles Perrault

À l’auguste grandeur du plus grand roi du monde,
L’homme, en qui tous les arts sembleront ramassés,
Du Tibre glorieux les bords aura laissés
Elle verra qu’en vain de ces lieux elle appelle
La science et les arts qui sont déjà chez elle
Sagement, toutefois, d’un désir curieux,
Les élèves iront enlever de ces lieux,
Sous de vieilles couleurs, la science cachée,
Que vainement ailleurs leur main aurait cherchée
Et, mesurant des yeux ces marbres renommés,
En dérober l’esprit dont ils sont animés.
Les arts arriveront à leur degré suprême,
Conduits par le génie et la sagesse extrême
De celui dont alors le plus puissant des rois,
Pour les faire fleurir, aura su faire choix.
D’un sens qui n’erre point, sa belle âme guidée,
Et possédant du beau l’invariable idée,
Élèvera si haut l’esprit des artisans,
En leur donnant à tous ses ordres instruisants,
Et leur fera tirer, par sa vive lumière,
Tant d’exquises beautés du sein de la matière,
Qu’eux-mêmes, regardant leurs travaux plus qu’humains,
À peine croiront voir l’ouvrage de leurs mains.